M. de Vaudreuil au comte d'Antraigues
Ce 7 juillet 1792.

Enfin Froment va partir, et j'ajoute un mot à cette énorme lettre. Nassau est arrivé en Russie le même jour que M. le duc de Brunswick est arrivé à Coblence. Nassau nous a apporté 700.000 francs et la certitude qu'au mois d'octobre nous aurons 15.000 Russes en France. M. le duc de Brunswick a eu des formes parfaites avec nos Princes, et sous tous les rapports son arrivée est le signal de notre bonheur. Il a dit à nos Princes que les deux cours qui lui ont confié le commandement de leurs armées voulaient que les Princes et la noblesse jouassent le rôle brillant qui leur convient, et qu'il ne se serait pas chargé de cette grande entreprise sous d'autres conditions. La parole d'un grand homme est pour moi plus positive que tous les contrats et que tous les serments.
Je vais vous parler avec confiance, mais pour vous seul, de ce que je prévois pour l'avenir. Je ne crois pas que le baron de Breteuil tire profit pour lui de toutes ses intrigues ; il est démasqué, méprisé, décrié et reconnu incapable ; mais Calonne ne sera sûrement pas l'homme qu'on mettra à la tête des affaires. La haine de la Reine est implacable, et il serait nuisible même aux affaires de lutter contre ces préventions indestructibles. Les agents de Breteuil ont même indisposé contre lui toutes les cours, sans avoir rien opéré en faveur de Breteuil. Qui tirera donc à lui la couverture ? Qui ? Celui-même que le Roi avait fait l'intermédiaire entre les Princes et Breteuil, le maréchal de Castries. Voilà ce que je vous prédis, mon cher comte. C'est un homme probe, et c'est beaucoup ; mais est-ce assez ? L'avenir nous l'expliquera, car cela sera comme je vous l'annonce.
Pour mon compte, tout m'est poarfaitement égal, car j'ai bien positivement renoncé à tout, même à ma patrie, que je n'habiterai jamais. J'irai la reconquérir pour la quitter bien vite, après avoir fait tout ce que m'auront dicté le devoir et l'honneur.
Adieu, mon cher comte. Vous qui avez les grands talents qu'il faut pour se lancer dans la carrière, ne la quittez pas, et souvenez-vous toujours d'un ami bien tendre.

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