Le comte d'Artois à M. de Vaudreuil
Hamm, ce 15 juin 1793
Il n'est ni abattu ni découragé - Approuve M. de Vaudreuil de rester auprès de Mme de Polignac
J'ai reçu ta lettre, mon cher Vaudreuil, en débarquant en Hollande, et, après avoir passé quelques heures avec mon amie, je suis reparti pour venir ici. Mon coeur avait besoin de ce moment de consolation, et j'en ai joui avec une bien douce satisfaction. Mais crois que mon âme est toujours la même ; je porte le nez plus haut que jamais, et je défie l'univers de m'abattre, ou même de me décourager (Le comte Woronzov, ministre de Russie à Londres, écrivait en date du 3/14 juin 1793 : "Depuis ma dernière, j'ai fait un voyage à Hull ; il n'était pas fort agréable, car je devais annoncer au comte d'Artois que l'Angleterre ne pouvait rien faire pour lui. C'était une terrible chute pour un prince qui avait été si exalté chez nous. J'eus un entretien de deux heures tête à tête avec lui, et je lui ai exposé l'état des choses et l'impossibilité absolue du gouvernement de ce pays-ci de concourir aux vues bienfaisantes que l'impératrice avait pour lui. Il a senti les raisons et a pris fort bien son parti." Archives Woronzov, t.IX p. 363) ; aussi pouvez-vous compter tous que je vais redoubler de zèle et d'activité. J'ai déjà fait écrire un petit mot au duc de Polignac ; je m'expliquerai plus clairement, quand M. de Maligne m'aura rejoint.
A présent, mon ami, parlons de toi. Non seulement j'approuve entièrement le parti que tu as pris, mais tu dois me connaître assez pour savoir que je te l'aurais conseillé. Je veux seulement te gronder de vouloir chercher des prétextes, dont aucuns n'ont le sens commun. Mon ami sera toujours bien auprès de moi, et sa présence ne peut m'être qu'utile et honorable ; mais tu as des devoirs plus sacrés à remplir ; je le dis comme je le pense, du fond de l'âme ; je ne tiendrais pas le même langage à tout le monde, mais mon ami m'entendra, me comprendra et me sentira. D'ailleurs je me plais à faire des sacrifices à ceux que j'aime, et, en te regrettant sans cesse dans la pénible carrière que j'ai à parcourir, je jouirai de savoir que mon bon Vaudreuil est heureux, et qu'il est auprès d'une femme que, toute ma vie, je regarderai comme une de mes plus tendres amies.
Je suis loin d'être heureux ; mais, vrai comme je t'aime, je me sens plus de forces que jamais. Je veux mettre sur-le-champ cette lettre à la poste ; je voulais te dire tout de suite ce que je regarde comme le plus important, car, cher ami, le coeur marche avant tout.
Je répondrai dans peu de jours à Mme de Polignac et à la comtesse Diane ; dites-leur, ainsi qu'à Mme de Guiche, que je les aime du plus tendre de mon coeur.
Adieu, mon ami, plus que jamais à la vie à la mort.
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