Le comte d'Artois à M. de Vaudreuil
Pétersbourg, ce 1er avril 1793

Succès du comte d'Artois à Saint-Pétersbourg - Attente d'un courrier d'Angleterre.

Mon Dieu, que j'ai été bien servi par le bonheur, mon cher Vaudreuil ! J'ai bien su, en partant de Hamm, que tu avais eu de la fièvre ; mais, comme cela t'arrive assez souvent et qu'ordinairement il n'y paraît plus deux jours après, je n'avais aucune inquiétude, et tu as dû en juger par mes lettres. Ce n'est qu'il y a trois jours que j'ai appris par mon amie que tu avais eu une maladie très sérieuse, et j'ai été assez heureux pour avoir en même temps la certitude que tu étais en pleine convalescence, et qu'il ne te fallait plus que des ménagements pour te rétablir tout à fait.
Tiens, ceci serait plus fort que moi : je puis supporter avec courage toutes les adversités possibles, j'accomplirai tous mes devoirs, et j'espère que mes efforts seront couronnés par le succès ; cependant, n'ayant rien à me reprocher, je soutiendrai avec une vraie philosophie la perte de tout ce qui paraît si précieux à tout le monde ; mais, pour que la vie ne me soit pas à charge, il faut que je conserve tous mes amis, et que j'aie la certitude de vivre et de mourir avec eux. Ainsi arrange-toi en conséquence, et songe que tu te dois à tes amis.
Nos affaires marchent et marchent bien ; tu en jugeras par la continuation de mon journal et par la note n°2. La note n°1 est trop longue pour qu'on ait le, temps de la copier ; d'ailleurs elle ne sert qu'à détailler davantage les idées davantage les idées de l'impératrice, et ce que je t'envoie en est le résultat. Il n'y a rien eu de bien intéressant depuis le 29 ; je mande à mon amie quelques détails, qui prouvent de plus en plus l'intérêt que l'impératrice prend à nos affaires, et peut-être même un peu à ma personne ; mais mon voyage ici était bien nécessaire, car je sais, de science certaine, qu'on commençait à se refroidir beaucoup pour nous, et que les affaires de Pologne absorbaient toutes les idées ; l'intérêt remonte sensiblement tous les jours, et tout me porte à espérer que le résultat du voyage sera brillant et solide. Cependant tout dépend de la réponse de l'Angleterre et du consentement qu'elle donnera au subside, qui est la condition du traité de commerce. Le courrier tarde beaucoup à arriver ; mais on l'attend tous les jours, et M. de Zoubov m'a fait dire hier qu'il augurait fort bien de ce retard et qu'il espérait que je serais content.
Mon amie te parlera aussi de quelques détails, qui peuvent devenir très importants et qui me sont parvenus par une conversation que d'Esterhazy a eue avec l'impératrice. Je n'ai pas besoin de te recommander le plus grand secret pour tout ce que je t'envoie, mais cela est bien nécessaire. Tu montreras tout à mon amie, à Jules et à sa femme, mais tu n'iras pas plus loin.
Je croyais que cette lettre partirait ce soir; mais je viens d'apprendre que M. de Langeron ne partirait peut-être que dans deux ou trois jours. J'ajouterai ce que j'apprendrai d'important. Dans un sens, je suis fâché de ce retard ; mais je le regarderais comme bien heureux, si ce courrier de Londres était arrivé, et si je pouvais te mander quelque chose de positif et de favorable. Mais, d'après le ton que l'impératrice a sur tout ce qui concerne l'opération en Normandie ou en Bretagne, je suis rempli d'espoir.
Adieu, mon brave Vaudreuil ; je ne sais plus quand je finirai cette lettre. Mon amie m'a mandé la manière dont elle a été reçue ; je n'en suis pas étonné, mais j'en jouis, parce qu'au moins elle aura un peu de consolation, et que tu auras du plaisir à la revoir.
Je t'zmbrasse de tout mon coeur.

retour vers la correspondance de M. de Vaudreuil