Le comte d'Artois à M. de Vaudreuil
Pétersbourg, ce 1er avril 1793

M. de Langeron va enfin partir, mon ami, et je me trouve même pressé par le temps. ce que mon amie te dira peut être considéré comme la suite de mon journal, et j'espère que tu en seras content et que cela achèvera de te rétablir.
Excepté aux personnes que je t'ai nommées dans ma lettre et sur la discrétion desquelles je puis bien compter, il faut ne rien dire qui puisse seulement mettre sur la voie, et tu peux te contenter de dire que je suis reçu avec toute la grâce possible, que j'ai même assez de succès, mais qu'il n'y a encore rien de nouveau pour les affaires.
Je te charge toi-même de dire de ma part à ton amie à quel point je jouis, pour elle et pour moi, de ta convalescence ; mais vois donc combien j'ai été heureux de te savoir guéri en même temps que malade ; c'est du fond de mon coeur que je baise les deux mains de ton amie.
Tu diras aussi à la comtesse Diane que les ordres sont donnés à Hamm pour faire passer un peu d'argent à Rivière.
Je t'embrasse comme je t'aime, pour la vie. Les nouvelles de Paris ne disent rien de nouveau sur le Temple, mais par cela même elles sont bien inquiétantes. Je ne te recommande pas le paquet ci-joint, ni celui à qui il est adressé ; tu sais trop bien que c'est tout pour moi ; mais je veux encore te répéter que tu me dois de soigner ta santé, de la réparer promptement et d'éviter à tes amis des inquiétudes qui leur font trop de mal.
Je dois ne plus paraître qu'en second, et je suis bien décidé à toujours soutenir cette conduite, qui est noble, juste et bien nécessaire.
Le courrier te portera tes quarante louis, et il est chargé d'en remettre cinquante au duc de Guiche, sur les soixante-quinze qu'il avait envoyés pendant la campagne. On fera passer des fonds au duc de Polignac le plus tôt possible ; mais nous n'en avons point encore à notre disposition. Au surplus, quand même il serait reconnu comme ambassadeur, il est malheureusement nécessaire, et de plus politique, qu'il n'augmente pas son train. On mandera la même chose à tous les ministres du régent qui seront reconnus.
Réjouis-toi, mon ami, de la nombreuse quantité d'affaires auxquelles je suis obligé de me livrer ; cela me distrait, cela m'occupe, et j'en ai bien besoin, car les réflexions sont bien cruelles et bien pénibles.
Adieu, adieu, mon bon Vaudreuil, mon ami ; aime-moi bien, et compte sur moi, comme je compte sur toi, à la vie et à la mort.
J'écris un mot au duc de Polignac et à la duchesse ; j'embrasse tous mes bons amis du plus tendre de mon coeur, et je serai bien heureux si mes devoirs me permettent de les voir un moment.
J'ai eu plusieurs fois des nouvelles de ton cousin ; il se porte bien, ainsi que sa famille.
Mon amie t'écrira sûrement, et elle te donnera de ses nouvelles. Sa marche est aussi incertaine que la mienne.

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