Le comte d'Artois à M. de Vaudreuil
Hamm, ce 9 janvier 1793

Procès du Roi - Calonne - Le marquis de Vaudreuil - Mme de Polastron

Depuis ma dernière lettre, mon ami, j'ai reçu celle que tu m'as écrite le 5 décembre, et Guébillon est arrivé le 5 janvier.
Nous ne renverrons le courrier qu'après avoir connu définitivement le sort du Roi. Les dernières nouvelles sont un peu plus rassurantes, et il paraît que la fermeté qu'il a témoignée à ses deux interrogatoires a fait une grande impression sur le peuple. Mais son affreuse position est toujours la même, et nos alarmes sont loin d'être dissipées.
Je ne comptais t'écrire que par le courrier pour répondre en détail à ta grande lettre ; mais comme, suivant les apparences, nous le garderons encore quelques jours, nous mettrons tout simplement à la poste une instruction pour le duc de Polignac sur les objets les plus pressés ; tu la verras. Ainsi je ne t'en parle pas.
Tu dois aussi avoir vu la lettre que j'ai écrite au duc de Polignac, le 2 décembre ; mais ce que je ne conçois pas, c'est que tu ne me dises absolument rien de la lettre que je t'ai écrite par Rivière. Tu y auras vu mes trop justes inquiétudes sur le compte de ce pauvre Calonne ; j'ai fait pour lui tout ce qui dépendait de moi ; mais, depuis le 10 novembre, je n'en ai pas entendu parler de près ni de loin, et j'ai peur qu'il ne se soit embarqué pour aller rejoindre sa femme. Cela me ferait beaucoup de peine, à cause de la conduite de la cour de Naples ; mais le fait est que je ne sais pas du tout où il est, et que je ne le crois plus en Angleterre, puisqu'il ne m'a rien écrit depuis deux mois.
Aussitôt que j'ai eu reçu ta grande lettre, j'ai chargé Courvoisier de s'informer où est le marquis de Vaudreuil : sois sûr que j'en aurai soin. S'il veut aller en Russie, je le recommanderai vivement à l'impératrice ; s'il veut aller à Vienne, avec sa famille, je lui faciliterai le voyage autant que je le pourrai ; je lui ai fait écrire en conséquence. Sois convaincu du plaisir que j'éprouverai à pouvoir rendre service à une famille aussi respectable et qui est à toi.
Je n'oublierai pas davantage ce que tu me dis pour Jules et pour La Rosière ; tu peux y compter, mais il nous faut encore un peu de temps.
Nous avons été contents de ce que Jules nous a envoyé, et je te prie de faire travailler l'homme en question. Je me développerai sur cet article par le retour de Guébillon.
Ce que tu me mandes de ta santé me fait une vraie peine, et je te défie d'en douter. Songe que tu es bien nécessaire à tes amis, et occupe-toi sérieusement d'éviter tout ce qui peut les inquiéter et les affliger.
Je savais que Mme de Polignac avait été souffrante ; mais j'espérais qu'elle était tout à fait délivrée de son rhume. Ce que tu me dis sur son compte m'afflige ; c'est encore une des amies bien nécessaires à mon coeur ; mais je compte sur sa sagesse, sur la tranquillité de son âme, et cela m'évite des inquiétudes.
Non, mon cher Vaudreuil, je ne t'en voudrai jamais des conseils que ton amitié te dicterait ; mais la marche de mon amie est soumise, ainsi que la mienne, aux réponses de Russie, qui ne sont pas encore arrivées. Elle est, dans ce moment-ci auprès de Francfort, où elle attend, aisi que moi, ce courrier si désiré et si important. Elle partira pour Vienne le jour où je me mettrai en chemin pour Pétersbourg. Mais, si je dois rester dans cette partie-ci de l'Allemagne, elle ne se placera sûrement pas à 200 lieues de moi. Au surplus, sois sûr que je saurai faire tous les sacrifices qui seront réellement nécessaires, et je te réponds d'avance que tu seras content du parti que je prendrai, quelq que soient les événements.
Adieu, adieu, mon bon et cher ami ; je t'embrasse du plus tendre de mon coeur, et t'aime pour la vie.
Courvoisier a retrouvé le chiffre : il t'écrira exactement.

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