Mémoires de Ch .- Paul de Kock
écrits par lui-même et publiés par son fils
E. Dentu (Paris) - 1873


Paul de Kock
, né à Passy le 21 mai 1793 et mort à Romainville le 29 août 1871
est un romancier et auteur dramatique français.

Avant-propos (extrait) :
Depuis longtemps on m'engageait à écrire mes Mémoires ; depuis longtemps, chaque jour, nombre de personnes me répétaient : "Vous qui avez vu tant de gens et tant de choses, parlez-nous donc des uns, contez-nous donc les autres ; doué comme vous l'êtes du don de l'observation, vos portraits et vos récits ne manqueront certainement pas de nous intéresser."
Jusqu'à présent j'avais toujours répondu à ceux qui me pressaient ainsi d'entreprendre un ouvrage, de la lecture duquel ils m'assuraient, avec plus ou moins de sincérité, devoir tirer quelque plaisir :
"Non, je n'écrirai pas mes Mémoires, par ce motif, d'abord, que je n'ai jamais aimé à mettre ma personnalité en scène dans un livre, et que l'exemple donné en ce genre par Jean-Jacques lui-même, dans certaines parties de ses Confessions , n'a rien qui me semble tentant ; ensuite, parce que choses et gens que j'ai vus dans ma vie, et que j'ai jugés capables d'intéresser ou d'amuser le public, m'ont servi dans mes romans ; qu'en racontant de nouveau celles-ci ou en parlant encore de ceux-là, je ne ferais donc que me répéter, et que s'il est vrai qu'en amour et devant une bonne table, l'axiome : Bis repetita placent soit juste, il est plus vrai encore qu'en littérature il n'y a rien d'insupportable comme ces écrivains qui, à force de ressasser telle idée ou tel personnage, finissent, après en avoir tiré une blanche et bonne farine, par n'en plus extraire qu'une grise et insipide recoupette."
Voilà ce que je répondais aux libraires, aux confrères et aux amis m'invitant, dans le but de recréer le Présent, à retourner mes regards vers le Passé ; et j'eusse persister sans doute dans ma résolution, sans une conversaion que j'eus aujourd'hui même, boulevard du Temple, avec un viel et aimable auteur, Benjamin Antier, l'ami de Béranger, le mien également depuis de longues années.
De quoi causâmes-nous, Antier et moi, en nous promenant sur ce boulevard, jadis si gai, si vivant, si éminemment parisien, avec sa foire perpétuelle de théâtres, maintenant si triste, si désert relativement, si province, avec sa caserne et sa place en patte d'oie, si grande, cette patte, que chaque fois qu'on se dispose à la traverser, involontairement on se demande s'il ne serait pas prudent de faire ses dispositions testamentaires. De quoi nous causâmes ? De tout ce qui n'existe plus à Paris, et de tout ce que nous nous rappelions y avoir admiré ou aimé. Aussi notre entretien fut-il long ; tellement long, qu'entamé à midi, le soir nous surprit qu'il durait encore. Evénements et hommes de toute sorte, de toute nature, depuis soixante ans et plus, nous avions tout passé en revue ; une revue qui nous faisait parfois venir la larme à l'oeil, mais, le plus souvent, le sourire aux lèvres. Par goût, pour mon compte, je m'attriste peu volontiers, et Antier est de mon école : il aime mieux rire que pleurer.
Enfin, comme nous nous décidions pourtant à nous séparer, l'auteur de La pauvre famille et de l'Auberge des Adrets, les antipodes du genre, me dit :
- C'est bon, n'est-ce pas, Paul de Kock, de se souvenir, cela rajeunit.
- Ma foi ! répliquai-je, il est certain que, tandis que nous bavardions, je n'ai pas souffert une minute de ma goutte. Et cependant, depuis hier, j'appréhende un accès. J'ai le bras gauche roide et lourd comme une barre de plomb?
- Eh bien ! savez-vous, mon ami, reprit Antier, puisqu'ils vous réussissent si bien contre le mal, à votre place, je continuerai d'employer les souvenirs comme remède !
- Je ne demande pas mieux. Nous causerons quand vous vous voudrez encore.
- Ce n'est pas cela que je veux dire. Assurément je serai fort aise de parcourir encore avec vous, à l'occasion, les pages de notre jeunesse ; mais ce que j'entends pour votre part, comme remède contre la goutte, c'est d'écrire tout ce que vous venez de me dire.
- Bon ! Vous aussi vous allez me conseiller d'écrire mes Mémoires !
- Et pourquoi pas, si, pendant que vous les écrivez, vous oubliez de souffrir ? ...
- Mon cher ami, j'ai dit quelque part, avec raison, je pense, que s'il y a pour nous un grand charme dans les souvenirs, nous nous flattons souvent à tort de faire passer ce charme au bout de notre plume tandis qu'il reste au fond de notre coeur.
- Bon ! Bon ! Je vous connais ; vous ne vous êtes jamais occupé de politique, vous n'en parlerez donc pas dans vos Mémoires , et ce sera déjà une raison de succès pour votre livre, dans un temps où, comme Protée, changeant à son gré de couleur et de forme, ce démon prétentieux, ennuyeux et creux, qu'on appelle la Politique, nous poursuit partout, pauvres Français, et surtout pauvres Parisiens, dans le salon, dans la boutique, dans la rue, au théâtre, et jusque dans la loge de notre portier. De religion, vous ne parlerez pas davantage, parce que, fidèle à la règle de conduite que vous vous êtes imposée dans vos romans, vous ne verrez pas la nécessité, pour plaire aux gens qui ne croient à rien, de vous moquer des gens qui croient à tout. Et vice versa. Bref, comme vous ne donnerez pas non plus, j'en suis certain, dans le travers des auteurs de Mémoires, travers qui consiste dans la description méticuleuse de détails de la vie intime, fort intéressant peut-être pour celui qui se les rappelle, mais, en revanche, très peu récréatifs pour celui à qui on les raconte, votre livre sera vif, gai, sans façons ; un vrai livre de Paul de Kock de la vieille roche, et, comme tel, chacun voudra le lire et chacun le lira.
Je souriais en écoutant Antier.
- Mais c'est presque un programme de mes Mémoires que vous me donnez là, mon cher ami ! lui dis-je
- Eh bien ! tant mieux ! répliqua-t-il gaiement. Je vous évite de la besogne.
"Commencez par écrire notre conversation en matière de préface, puis, à votre temps, à votre aise, jetez vos Souvenirs sur le papier ; quand vous aurez devant vous la matière d'un volume, vous la donnerez à publier à un éditeur...
L'accueil fait à ce ballon d'essai vous dira si vous devez en lancer un second. Au revoir !"

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