Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Fontainebleau, le 22 Thermidor an XII (10 août 1804)

Depuis quinze jours, nous avons toujours été sous les armes ; nous avons successivement passé la revue de l'inspecteur, de M. Hulin, notre colonel, et du maréchal Bessières.
M. Bessières surtout a pris auprès de notre commandant beaucoup de renseignements sur la formation du corps en général et sur chacun des Vélites en particulier. En nous passant en revue, il a adressé la parole à quelques jeunes gens. En ma qualité de chef de chambrée, lorsqu'il a visité la caserne, j'ai été chargé de répondre aux diverses questions qu'il nous a faites. Il nous a tous engagés à témoigner le même zèle que par le passé, et nous a quittés en nous promettant qu'au 1er vendémiaire prochain, nous aurions tous les maîtres qu'on nous a promis. Quoi qu'il en soit, notre situation militaire est toujours la même et nous continuons à faire l'exercice huit heures par jour.
Je crois fermement qu'on veut commencer par faire de nous des soldats, et qu'il faudra enseuite gagner les épaulettes à force de mérite, de travail ou de protections.
Il paraît d'ailleurs qu'un grand nombre de Vélites vont être envoyés dans la ligne ; le reste du corps se rendra à Paris pour la fâte du 18 Brumaire, et ce n'est qu'à cette époque que nous connaîtrons notre véritable destination.
En mon particulier, j'ai beaucoup de motifs de me louer de la manière dont je suis au corps. J'ai eu le bonheur de faire la connaissance intime de M. Lacretelle, cousin germain du général Duroc, et le mieux recommandé et peut-être aussi le plus riche de tous les Vélites. Il me témoigne tous les jours beaucoup d'amitié ; nous sommes très bien ensemble, et il a eu la complaisance de me présenter lui-même chez le colonel et chez l'adjudant-major. Je dois sans doute à cette liaison le peu de considération dont je jouis ici ; mais, quoi qu'il en soit, je vais être nommé instructeur au premier jour. J'ai d'ailleurs fait des progrès assez rapides dans le maniement des armes, et j'ai passé depuis deux jours à la première classe. Toutes ces petites circonstances ne me sont point du tout indifférentes et ont singulièrement contribué à me consoler. Les quinze premiers jours ont, en effet, été bien pénibles à passer, et j'étais forcé de m'apercevoir à chaque instant du jour que j'avais perdu ma liberté, que je regarde plus que jamais comme le plus précieux de tous les trésors. Mais enfin, je commence à prendre un peu mon parti, et j'espère supporter les désagréments de l'état militaire avec quelque résignation, puisque, en effet, il n'est pas possible de mieux faire pour le moment.
Mon colonel m'a promis de m'accorder une permission au commencement de l'hiver. En attendant, mon bon ami, si tes affaires t'appellent à Paris, passe, je t'en supplie, par Fontainebleau !
Sans doute, mon cher frère, tu vas trouver bien de la différence entre le style de cette lettre et celui de mes précédentes ; mais aussi quels motifs n'ai-je pas maintenant pour supporter mon sort avec quelque patience ! Je commence à me familiariser avec l'aspect rude de la plupart de ceux qui nous commandent, et j'ai su m'attirer jusqu'à ce moment leur bienveillance.
Crois-moi pour la vie ton meilleur ami.
Je t'écris du corps de garde.

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