Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Fontainebleau, le 23 ventôse an XIII (14 mars 1805)

Ta soirée a dû être charmante, mon cher ami, et j'estime que tes jolies danseuses n'ont pas laissé le temps à tes cavaliers de beaucoup considérer ton orchestre. Je te remercie d'avoir bien voulu t'apercevoir de mon absence au milieu de cette aimable réunion ; cependant mon carnaval n'a pas été aussi triste que je devais m'y attendre et j'ai eu le plaisir de passer une soirée tout entière avec mes anciens frères d'armes, messieurs Cesbron, qui sont toujours mes bons amis. Tu me donnes un conseil qui peut être bon ; permets- moi cependant d'observer que tu n'as pas toujours raisonné de la même manière. J'aimerais beaucoup l'état militaire si j'aimais moins Mlle Callaud, mais malheureusement on n'est pas toujours maître des sentiments de son coeur et j'ai pris mon parti à cet égard d'une manière invariable. Au reste je redouble d'efforts pour mériter continuellement l'estime de mes supérieurs et je puis t'assurer que depuis que l'Ecole est fondée, personne n'a jamais obtenu un avancement aussi prompt que le mien. Je viens d'être successivement nommé caporal et enfin sergent commandant la 2è compagnie.
Deux ou trois compositions ont fait taire les jaloux ; j'ai en effet été le premier en mathématiques et en littérature et j'ai aujourd'hui le plaisir de toutes les prérogatives attachées au grade que j'occupe ; dans cette circonstance, je dois peut-être plus au hasard qu'à mon propre mérite, mais assurément je ne dois rien aux recommandations. Tu le croiras facilement si tu sais que le plus grand nombre des élèves es composé de fils de généraux, de sénateurs, et enfin des premiers de l'Etat. J'ai dans ma compagnie, par exemple, le neveu de l'Impératrice et le fils du préteur Clément de Ris.
D'un autre côté, j'ai la permission de rester dans la chambre pendant les classes de fortifications et de dessin, de manière que je ne fais plus l'écolier que tous les deux jours.
Le général va me faire suivre un cours d'administration militaire. J'espère qu'il ne sera pas impossible, à la fin de cette année, d'obtenir un grade dans cette partie.
Adieu, vieux, pousse jusqu'à Fontainebleau, quand tu iras à Orléans, et crois-moi toujours ton sincère ami.

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