Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)
Fontainebleau, le 30 messidor an XIII (19 juillet 1805)
Jamais avis ne fut plus maladroitement donné que celui de M. Lhéritier l'aîné : si tu m'avais consulté avant d'écrire au général Bellavesne, je t'aurai engagé à me laisser le soin de me tirer d'affaire et j'en serais venu tout seul à nout parce que j'ai trop bien commencé ici sans le secours de personne pour ne pas finir de même en me donnant la peine d'être sage. Je dis "sans le secours de personne" et j'espère que tu seras de mon avis quand tu sauras que personne n'est en effet plus insensible à la voix des protections que le général qui nous commande. Je puis t'en donner une excellente preuve en te citant les noms de quelques illustres personnages qui sont mes soldats depuis huit mois : par exemple Clary et Tascher, tous les deux neveux de l'Impératrice ; Lawoestine petit-fils de l'ambassadeur à la Cour de Prusse ; le fils de M. Clément de Ris, aussi âgé et deux fois plus grand que moi, etc., etc. ; mais enfin, puisque tu as fait pour le mieux, je suis bien éloigné de t'en savoir mauvais gré.
Au reste, mon cher ami, on t'a fait le mal beaucoup plus grand qu'il n'était ; mon séjour à l'hospice a effacé tous les souvenirs désagréables et j'en suis sorti le 25 pour commander le 27 devant notre Empereur et Roi, par ordre du général. Une préférence aussi marquée, accordée à un sergent-major sur tous les autres, est le nec plus ultra de la considération, et, sans me flatter, j'ose espérer que j'occuperai un rang distingué dans les annales de l'Ecole.
Pour tout l'or du monde, mon cher ami, je ne voudrais pas être adjudant sous-lieutenant ; il me suffit qu'on se soit attendu pendant huit jours à me voir donner l'épaulette d'un moment à l'autre. Après avoir été le premier sergent-major de l'Ecole militaire, j'y serais tout à fait déplacé en qualité d'officier ; dans deux mois, j'espère t'en expliquer de vive voix tous les motifs ; en attendant, je serai sage comme un Caton.
L'Empereur avait promis de venir aussi nous visiter dans nos classes et je l'attendais de pied ferme, car j'étais désigné par tous pour être interrogé devant lui ; malheureusement la mort de la princesse Borghese l'a rappelé à Paris un peu plus tôt qu'on ne pouvait le croire et hier il est parti incognito avec l'Impératrice à 6 heures du matin. On commence à s'occuper de la prochaine levée ; j'espère que loes élèves partiront vers le milieu de vendémiaire.
J'espérais entrer dans la 9è demi-brigade d'infanterie légère, mais elle vient de s'embarquer à Naples où elle était en garnison. M. Dornier, mon capitaine, a profité de l'occasion pour me demander la permission d'envoyer mon nom au colonel du 15è de ligne qui vient de lui écrire pour lui demander quelques sous-lieutenants de l'Ecole ; la réponse du capitaine est extrêmement à mon avantage, et j'ai tout lieu de croire que le colonel Reynaud me demandera incessamment au ministre de la Guerre.
Mes amitiés à ta femme et caresses de ma part au petit Emile.
Tout à toi.
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