Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Fontainebleau, 3 frimaire an XIV (24 novembre 1805)

Quand je pense à la rapidité avec laquelle le temps s'écoule, je prends bravement mon parti, et je me résigne à attendre patiemment le moment de ma promotion. Je me figure, pour m'étourdir sur l'idée de ma captivité, que le moment de la liberté n'est plus éloigné, et je m'occupe provisoirement d'une foule de choses qui me font bâiller de bon coeur.
Il fut un temps où l'on pouvait encore se consoler quelquefois avec ses amis. La goutte, les cigares et la course en ville étaient en vénération ; mais, à présent, toutes ces passades sont autant de titres de proscription, et l'Ecole militaire est vraiment transformée en pension de jeunes demoiselles. Aussi, pour ma part, je ne fume plus, je ne bois plus, et depuis mon retour j'ai à peine mis le nez dans la cour.
Pendant que nous vivons ici comme des cénobites, mes anciens frères d'ames, messieurs Cesbron et autres se battent en Allemagne comme des enragés. la neige, le froid, la boue, les fleuves, rien ne les arrête. Ils m'écrivaient dernièrement de Linz qu'ils n'avaient plus de souliers, mais qu'ils en trouveraient à Vienne. Ils y sont maintenant, et j'y voudrais être aussi avec eux, quoiqu'ils prétendent cependant qu'on est encore mieux chez soi qu'à l'armée.

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