Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Ecole impériale de Fontainebleau, le 11 prairial an XIII (31 mai 1805)

Le grade de sergent-major est uniquement ad honores ; il en résulte beaucoup d'agrément et peu de profit, mais un avantage qui n'est pas à dédaigner, c'est qu'en arrivant à mon corps avec mes galons d'or, je ne serai pas forcé de passer par mes grades, ce sera toujours deux ou trois mois de gagnés.
Nous avons eu connaissance d'une circulaire du ministre de la Guerre, dont le texte n'est guère encourageant ; il porte qu'on ne pourra plus passer d'un grade à un autre, sans avoir occupé le précédent pendant quatre années consécutives. Tu vois, mon cher ami, que voilà encore un puissant motif de se détacher tout à fait de l'état militaire. Cependant le nombre des élèves de l'Ecole augmente prodigieusement ; j'ai actuellement plus de deux cents numéros après moi. Il est vrai qu'un grand nombre des jeunes gens qui arrivent dans ce moment n'y viennent que pour éviter la conscription et avec l'intention de se retirer du service aussitôt qu'ils le pourront.
Le sieur Héron est donc enfin marié ? Ses noces sont arrivées fort à propos pour vous dédommager de la tristesse de notre foire. Mesdames Callaud parlaient dernièrement de madame Coudreux ; il paraît qu'elles sont fort bien ensemble, j'en sis charmé pour Emilie surtout, qui est une bonne enfant et qui voyait avec peine l'éloignement que lui témoignaient les personnes de ma famille ; j'espère que ma chère mère reviendra facilement sur son compte ; elle ne m'a jamais témoigné d'aversion pour elle, au contraire, et peut-être es-tu mal instruit ; dans tous les cas, tu feras fort bien de n'en rien dire à Mlle Callaud la jeune ; il est des vérités qui sont fort désagréables à répéter et à entendre, et quelles qu'aient été ses intentions, je suis trop attaché à sa cousine pour lui savoir mauvais gré de tout ce qu'elle a pu faire.
Je finis dans ce moment mon éducation militaire par les manoeuvres de l'artillerie ; je m'en acquitte passablement, mais en même temps je suis payé pour m'en souvenir. Nous étions dernièrement occupés à remettre une pièce de 12 dans son encastrement de tir par le moyen d'une chèvre ; nos messieurs, qui manquent souvent de force et de bonne volonté, ont tout à coup abandonné leurs leviers ; nos efforts n'ont plus été suffisants pour maintenir la machine et j'ai eu l'agrément de recevoir un vigoureux coup par la tête accompagné d'une hernie, simple heureusement. Je ne me sens déjà plus du premier, et, grâce aux soins de notre médecin, j'espère quitter mes bandages avant trois semaines.
Si le malheur d'autrui pouvait contribuer à consoler du sien propre, je pourrais te citer notre pauvre diable de capitaine qui a manqué d'être assommé, mais le brave homme a encore la tête plus dure que moi et il était sur pied deux jours après.
Au reste, il faut se consoler de tout ets' attendre à tout dans ce monde.
Tout à toi.

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