Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Fontainebleau, le 18 germinal an XIII (8 avril 1805)

J'ai reçu, mon cher ami, ta lettre du 14 courant ; M. Lhéritier jeune m'a fait passer un mandat sur Paris de 318 livres que j'ai déjà remis à mon quartier-maître en payement de mon deuxième trimestre ; ainsi, comme tu vois, tout est en ordre.
Suivant toutes les apparences, l'Ecole militaire restera à Fontainebleau. D'après quelques renseignements bien positifs, je renonce à mon projet d'entrer dans l'administration militaire. Il n'y a pour toute la République que 51 adjoints, et depuis longtemps, non seulement tous les cadres sont remplis, mais encore il y a 80 surnuméraires qui sont employés sans appointements depuis dix-huit mois et même deux ans. Je m'en tiendrai donc à une sous-lieutenance. J'espère entrer dans une demi-brigade d'infanterie légère actuellement à Livourne, toujours en attendant que je puisse me retirer du service, car je n'a point changé d'avis depuis le premier jour. Je suis fort éloigné, mon cher ami, de te savoir mauvais gré de tes observations, d'abord parce que je suis persuadé qu'elles sont toutes dictées par ton amitié et ton attachement pour moi ; d'un autre côté, comme il y a longtemps que mon parti est pris, tout ce qu'on pourrait me dire serait inutile.
Je passe ici mon temps assez agréablement ; outre mes galons qui me procurent quelques faveurs auprès de mes supérieurs, je suis encore professeur d'arithmétique et d'algèbre, chef de classe du cours d'administration, enfin instructeur d'une classe d'exercice de 50 ou 60 hommes. Je fais ici le petit colonel tout à mon aise ; j'espère toujours que cela ne durera pas longtemps. Je sors souvent en ville ; j'y ai fait quelques connaissances et je m'aperçois rarement que je suis réellement prisonnier à l'Ecole. Le tableau que tu me fais des plaisirs de notre bonne ville de Tours n'est pas fort animé ; heureusement, les noces de l'ami Coclès vont se trouver fort à propos pour faire oublier les privations du carême. Il paraît que nos Tourangeaux ont plus que jamais la fureur de se marier ; on ne me parle, en effet, que de mariages depuis un mois. Grand bien leur fasse !
Adieu. Mes amitiés chez toi.
Ton ami sincère.

P.S. Entre autres plaisirs, j'ai celui de boire la goutte et de fumer le cigare tous les matins après mon rapport. J'en suis d'autant plus satisfait que l'eau-de-vie et le tabac sont ici le fruit défendu. Juge d'après cela quels militaires nous faisons !

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