Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Paris, 23 octobre 1806

Je réponds, mon bien bon ami, à ta dernière du 17 courant. Il est bien vrai que depuis deux mois que je suis à Paris, j'ai reçu et dépensé 440 francs. Cette somme est sans doute bien trop considérable pour ma fortune ; je sens plus que personne que je ne puis aller le même train et mon intention est de vivre avec la plus stricte économie, mais pourquoi supposes-tu que mon argent a été employé d'une tout autre manière que je te l'ai dit ? Si je faisais quelques folies, je ne t'en ferais point mystère ; un jeune officier a quelques droits à l'indulgence et tu ne me verrais point avoir recours pour m'excuser à un conte digne tout u plus d'un écolier de sixième. Il est donc exactement vrai que nous avons donné à dîner à vingt-cinq officiers du bataillon d'élite et que tout s'est passé comme je t'en ai fait part dans le temps. Chacun il est vrai, paie suivant son grade, mais la dépense se partage entre ceux qui recevaient et point du tout entre les nouveaux venus. Rappelle-toi enfin que je suis parti de Tours avec 900 francs ; j'en pris chez Brédif 150 et c'est avec ces deux sommes qu'il a fallu pourvoir aux frais d'un voyage de 100 lieues et de mon équipement ; il ne m'en restait donc guère en arrivant à Provins. jette maintenant un coup d'oeil de mes 440 francs et rends-moi je te prie assez de justice pour croire que je n'ai pas jeté mon argent par les femêtres :
Une capote de drap à grand collet... 130 fr.
Une paire d'épaulettes neuves ... 40 fr.
Une paire de bottes galonnées ... 42 fr.
Une dragonne neuve ... 18 fr.
Un hausse-col... 12 fr.
Un schako... 50 fr.
Notre fameux dîner à Tivoli... 30 fr.
Total ... 322 fr.
L'excédent de mes appointements a été employé au paiement de ma pension, de mon logement, de mon domestique, etc., etc., Joins à cela maintenant les occasions sans nombre où on est forcé de dépenser de l'agent à Paris. Tous ces détails t'ennuient peut-être, mon cher ami ; j'y suis entré dans la seule intention de te prouver que je tiens à ton amitié et à ton estime.
Parlons maintenant de la guerre actuelle ; aujourd'hui que tu as lu les premiers bulletins de la Grande Armée, penses-tu encore qu'il doive nous être indifférent d'être ici ? J'enrage de bien bon coeur, je t'assure, en apprenant tant de merveilles auxquelles nous n'aurons pas l'honneur de contribuer ; notre colonel ne s'en console pas et il a raison !
J'arrive à l'instant de chez monseigneur l'archichancelier où j'ai accompagné Madame C...
Encore une nouvelle victoire dont vous ne verrez les détails que dans quelques jours ! Le courrier, qui n'est ici que depuis deux heures, a apporté la nouvelle officielle de la déroute complète de l'armée prussienne à la suite d'une deuxième bataille gagnée par notre Empereur ; 200 pièces de canons, tous les bagages et 28.000 hommes tués ou pris en sont les résutats. L'enthousiasme des soldats est à son comble.
Adieu, tout à toi de bien bon coeur.
Amitiés chez toi - donne-moi donc des nouvelles de mes neveux.

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