Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Wesel, 24 novembre 1806

Nous n'avons mis que huit jours à faire la route de Paris à Wesel ; tu vois, mon cher ami, que nous avons marché rondement ! Nous avons eu assez beau temps tout le long du chemin et nous sommes arrivés ici sans accidents quoique nous ayons cassé plus d'une voiture dans les affreux défilés du département de la Roër ; j'ai vu avec plaisir Cambrai, Valenciennes, Mons, Bruxelles, Maëstricht et les autres principales villes des Flandres dont tu m'as bien souvent parlé. Nous aurions fait là un charmant voyage si nous eussions eu le temps de nous reconnaître ; mais malheureusement nous n'avions que celui de manger et de dormir quelques heures.
Le 58è régiment de ligne est arrivé à Wesel le même jour que nous. Il a passé par une autre route et nous ne nous sommes rejoints qu'à deux lieues d'ici.
Il a beaucoup souffert pendant trois jours qu'il a voyagé en bateau sur la Meuse. Il a eu plusieurs grenadiers noyés.
La précipitation avec laquelle nous sommes partis de Paris nous avait fait croire que nous nous rendrions de suite à l'armée ; il paraît maintenant qu'on a reçu de nouveaux ordres et que nous devons au contraire rester quelque temps ici ; nous avons déjà commencé à faire le service de la place.
La ville de Wesel est une des plus fortes du duché de Clèves, et on travaille avec beaucoup d'activité à de nouvelles fortifications. On dit qu'elle appartiendra désormais à la France, et qu'elle formera la tête du pont qu'on vient de jeter sur le Rhin en avnat de Büderich.
Nous sommes fort mal dans notre nouvelle garnison ; nous sommes logés chez les bourgeois, mais nous vivons à nos dépens, et il en coûte très cher. La choucroute, les pommes de terre et les navets sont ici des mets par excellence, qu'on nous vante beaucoup, que nous payons bien, et qui pourtant ne nous accommodent pas trop. Enfin, vaille que vaille, il faut bien en passer par là. Au retse, nous sommes tous les uns sur les autres ; nous sommes huit officiers dans la même maison et nous sommes obligés de coucher sur le plancher. MM. les Allemands, en général, n'ont pas un grand nombre de lits.
Si nous restons longtemps ici, je prévois que nous nous y ennuieront passablement. Depuis six jours, je n'ai pas encore rencontré une joile femme ! Ce serait bien là le cas de se lamenter à l'occasion de la perte de mes divinités de la capitale, mais tu n'aimes pas les élégies, ni moi non plus. D'ailleurs, ma pipe me reste et je fumerai s'il n'est pas possible de faire mieus.
Donne-moi toujours de tes nouvelles, mon bon ami. Occupe-toi de mes petites affaires ; fais-en de bonnes, et crois-moi
Toujours à toi,
Ton sincère ami.

P.S. A l'instant, nous recevons l'ordre de partir pour Hambourg. Adieu ! Bonne santé !

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