Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Paris, 2 mai 1806

Mon bon ami,
Après dix-sept mois de tristesse et d'ennui, les portes de ma prison se sont enfin ouvertes. Je suis sous-lieutenant depuis le 19 courant. J'ai reçu hier matin mes lettres de service, et depuis quatre heures je suis à Paris. Je serai forcé d'y passer deux ou trois jours parce qu'il faut que nous allions réclamer au ministère nos lettres d'admission à l'école de Fontainebleau. Lundi au plus tard je partirai pour Tours et j'aurai le plaisir de t'embrasser au commencement de la semaine prochaine.
Je suis nommé officier dans le 15è régiment d'infanterie légère. Le dépôt est à Neuchâtel en Suisse, le corps en Dalmatie ; M. Deshomeaux qui me charge de le rappeler à ton souvenir part pour l'armée de Naples et mes deux camarades vont rejoindre en Hanovre. Tu vois, mon ami, que nous allons avoir du chemin à faire ; en général nous sommes tous envoyés à l'armée.
La réception de mon brevet ne m'a pas causé autant de plaisir que je l'aurais cru. L'idée du sacrifice que j'ai été obligé de faire depuis deux ans en est je crois la principale cause. Je vais me trouver avoir dépensé presque autant d'argent qu'il m'en aurait fallu pour acheter un homme et je n'en serai guère plus avancé. Enfin le mal est fait, les lamentations sont maintenant déplacées.
A mon grand regret il m'a encore fallu payer au Quartier deux mois de pension à l'Ecole pour les deux tiers de mon sixième trimestre. Mon brevet m'aura coûté cher ! mais encore une fois qu'y faire ? Encore trop heureux puisqu'on restera désormais deux années.
Le général Bellavesne m'a engagé à dîner fort souvent depuis mon retour. Npus nous sommes parfaitement bien quittés. Il m'a fait partir le premier avec mes trois anciens collègues seulement ; les autres élèves ne partiront que dans quelques jours.
L'ami Gavoty a eu la bonté de me prêter 150 francs donc il s'est remboursé sur toi, je te confirme le petit post-scriptum ajouté à sa lettre. Tu vois, mon bon ami, que j'employe toujours ta bourse ou ton crédit. Ton amitié m'est un garant que tu m'obliges avec plaisir ; sois persuadé que j'en suis bien reconnaissant.
Adieu, tout à toi.
Ton sincère ami.

P.S. Les affaires vont assez mal à Paris. Gavoty ne fait pas grand'chose dans ce moment ; on s'attend, à ce qu'il paraît, à une diminution sur vos articles.

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