Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Au camp de Bartukeiten , 18 juillet 1807

Il est décidé que M. le maréchal Davout sera prince d'une grande portion de la Pologne, et son corps d'armée prendra incessamment avec lui la route de Varsovie. Nous voilà donc, pour ainsi dire, exilés de notre belle France, peut-être pour quelques années ! Nous nous en consolerons facilement, parce que les Polonaises sont en général aimables et jolies. Cependant, nous eussions tous été charmés de repasser le Rhin. Nous partons le 20 courant.
J'aurais pourtant tort de me plaindre, ca, si je suis malheureux en amour, Mars prend soin de me dédommager. Lis donc avec attention le paragraphe suivant.
Ma redoute d'Jankow a joué un rôle dans nos premières manoeuvres en face de l'ennemi, et m'a mis en réputation dans la division, le lendemain du jour où nous arrivâmes vis-à vis Schlittin, sur les bords de la Passarge, dont la rive gauche était garnie des avant-postes ennemis.
J"apprends en arrivant que, dans le camp, on demande "un guerrier que la mort, que rien n'intimide !"
Je me présente et je reçois l'ordre de M. le maréchal Davout de prendre dans mon régiment un détachement fort à ma volonté, et d'aller passer la rivière pour reconnaître quelques points favorables oiur jeter les ponts ! A dix heures du soir, ma mission était remplie ! Je soupai chez M. le maréchal. Je donnai l'ordre que l'on travaillât de suite à faire trois mille fascines, et, le lendemain, tout le corps d'armée passa sur deux ponts de ma façon, qui n'étaient pas beaux, mais qui remplirent admirablement nos intentions. Deux heures après, nous chassâmes l'ennemi de Guttstadt.
Je fus encore employé comme ingénieur à Koenigsberg et à Tapiau, pour le passage de la Pregel, et je viens de recevoir pour récompense le brevet de lieutenant-adjudant-major qui me vaut dès ce moment 2000 francs d'appointements par année, le rang de capitaine de 2è classe, et effectivement le titre dans dix-huit mois, à partir du 11 juillet.

P.S. En tout son contenu, je te confirme ma lettre de ce jour. Au réçu de la présente, fais-mois l'amitié de remettre 360 francs à M. Bellet, quartier-maître de mon régiment, à Paris. Ctte somme est le prix d'un fort beau cheval que je viens d'acheter pour commencer mes fonctions d'adjudant-major.
Tout à toi de bien bonne amitié.
Alex. Coudreux,
Adjudant-major, 1er bataillon, 15è régiment, 3è corps d'armée.

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