Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Au bivouac, près Steinberg, 22 mars 1807

Mon cher ami,
Depuis mon départ de Paris, je n'ai pas reçu une seule lettre de France ; j'en ai pourtant écrit plus de vingt, de Wesel, de Lunebourg, d'Anklam, de Posen, de Varsovie, etc., etc., Il est vrai que j'ai changé trois fois de corps d'armée dans quinze jours et que nos communications avec la France sont souvent interceptées par les partisans.
Nous laissons l'ennemi fort tranquille depuis la fameuse affaire d'Eylau ; l'armée s'est rapprochée de la Vistule ; l'empereur est à Osterode, et nous, nous sommes au bivouac et aux avant-postes, à trente lieues de Koenigsberg. Nous recevons tous les jours des coups de fusil, mais, en revanche, nous ne manquons pas de vivres, et nous sommes en cela bien plus heureux que l'armée qui est cantonnée, mais qui mange des pois et des pommes de terre en place de pain.
Jusqu'à ce moment, mon cher ami, j'ai eu beaucoup de bonheur : je me suis toujours très bien porté ; j'ai bravé les rigueurs de la saison, le bivouac, la faim, et ma santé est plus robuste que jamais. D'un autre côté, messieurs les ennemis ne sont pas adroits et j'en ai été quitte pour deux trous dans le collet de ma capote aux différentes affaires où je me suis trouvé.
Les bulletins ont dû vous parler de la bataille de Prusse-Eylau ; je t'assure qu'elle en valait la peine ! Celle d'Austerlitz n'était, dit-on, qu'un jeu d'enfants quand on la compare avec celle-là ! Notre corps d'armée a commencé le bal et s'est battu seul jusqu'à onze heures du matin, avec plus de 50000 hommes. Juge par là de quelle façon nous avons dû être arrangés ; le fils de Mme de Caillemer a été tué à côté de moi.
Enfin, vaille que vaille, le beau temps approche et nous sommes sauvés si nous attapons le mois de mai.
J'espère bien que nous frotterons d'importance Prussiens, Russes et Cosaques, et que je reviendrai avec mes deux oreilles te conter un jour tous les exploits du 3è corps d'armée.
Adieu. On tiraille sur la rive droite de la Passarge ; on bat le ralliement et je cours à ma compagnie.
Tout à toi,
Ton sincère ami.

P.S. Occupe-toi de mes affaires. Vois Mme Callaud et donne-moi de tes nouvelles.
Voici mon adresse :
Officier au 15è régiment d'infanterie légère, 2è division, 3è corps d'armée, à la Grande Armée.

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