Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)
Thorn , 14 juin 1808
J'ai bien reçu, mon cher ami, les deux dernières lettres que tu m'as écrites. Depuis trois semaines nous avons eu tant d'occupations que je n'ai pas trouvé un moment pour y répondre plus tôt.
Tandis que vous faisiez de brillants préparatifs à l'occasion du voyage de Leurs Majestés le roi et la reine d'Espagne, nous avions le bonheur de posséder à Thorn notre général de division, M. le comte de l'empire Friand. Nous avons manoeuvré devant lui plusieurs jours de suite, et nous avons subi enfin la nouvelle organisation voulue par les derniers décrets de Sa Majesté Impériale.
Notre régiment est donc actuellement composé de cinq bataillons, dont deux en Portugal et trois à Thorn ; nous avons toujours le même colonel, quatre chefs de bataillon, cinq adjudants majors, dix adjudants et dix chirurgiens. J'ai conservé ma place au premier bataillon.
Le séjour de la Pologne nous coûte toujours beaucoup d'argent, et beaucoup de soldats ; en même temps que nous payons tout au poids de l'or, la fièvre et le scorbut nous enlèvent tous les jours quelques-uns de nos chasseurs. Je suis le seul officier de la garnison qui n'ait pas été atteint. Ma robuste santé résiste à tout.
En récompense, ma bourse est dans un état déplorable ; c'est aujourd'hui le 14, et déjà je n'ai plus le sou ; pour comble de malheur, le retour de la belle saison nous occasionne encore de nouveaux frais ; nos uniformes, que la dernière campagne avait cruellement outragés, n'osent plus prendre l'air ; il faut tout renouveler à un prix excessif. Prends donc bonne note, mon cher ami, de mon mandat de ce jour de 240 francs payable à 20/30 jours de date sur MM. Gaudelet Dubernard et Cie de Paris. Je compte sur un accueil favorable ; il sera comme à l'ordinaire envoyé à M. Bellet, notre quartier à Paris.
Une maladie dont je ne te parlais pas fait aussi tous les jours de nouveaux progrès dans le 3è corps d'armée ! C'est la fureur d'épouser les dames polonaises. Les officiers du 15è régiment en paraissent particulièrement atteints. Deux de nos lieutenants-colonels se marient dans quinze jours ; trois capitaines et deux lieutenants dans un mois, et pour comble de bamboche, tous nos vieux troupiers font arriver de France à peu près une douzaine de vilaines femmes qui vont bien relever dans ce pays la réputations des dames françaises que la figure de nos vivandières avait un peu altérée. J'espère que l'envie du mariage ne me possédera pas de sitôt ; cependant, je ne voudrais pas en répondre, car encore une fois nos épouseurs sont vraiment possédés d'une espèce de rage, qui ressemble beaucoup à une épidémie. Adieu, mon cher ami. Parle-moi du passage de la Cour d'Espagne, et crois-moi de tout ton coeur ton sincère ami.
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