Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Thorn , 17 février 1808

Honneur soit rendu, mon cher capitaine, au zèle infatigable avec lequel tu travailles à l'instruction de tes guerriers ! Que j'aimerais à voir nos Tourangeaux braver courageusement les rigueurs de la saison et ne rêver que tactique et maniement des armes ! Les progrès les plus rapides seront le prix d'un dévouement aussi beau ! Il ne faut pourtant pas que l'enthousiasme les emporte trop loin ; en ma qualitéde militaire experimenté, je vous recommande le sang-froid, et je vous engage surtout à ménager les jambes de vos instructeurs.
En lisant ta dernière lettre, mon bon ami, j'ai admiré la chaleur avec laquelle tu me parles de votre double déjeuner ; par un concours admirable de circonstances, nous vidions à peu près dans le même moment les flacons de bourgogne et de champagne. Vous avez infailliblement bu à la santé de l'armée, et, comme nous ne manquons jamais de boire de notre côté à celle de notre beau pays, nos santés se sont rencontrées à peu près à moitié chemin.
Encore une fois, l'accueil que nous avons fait aux officiers russes a été très brillant ; mais, comme nos bourses ne sont pas à beaucoup près aussi ferrées que les vôtres, il en est résulté que sept ou huit jours de ripaille nous ont réduits à être sans le sol : c'est ains, par exemple, que je me suis vu un moment ruiné de fond en comble ; j'étais même en état de faillite, puisque, devant payer un frédéric d'or, je ne possédais plus que 4 thalers. Pour réparer le désordre de mes finances, j'ai tiré 240 francs sur les amis de Paris payables le 12 du mois prochain ; fais-moi donc l'amitié de leur confirmer l'avis que je leur en ai donné, afin que mon mandat soit accueilli.
Les plaisirs et la danse vont toujours leur train, et j'ai parfaitement la réputation d'un homme galant. Il existe dans nos bals une douzaine de vieilles dames auprès desquelles je suis sans cesse aux petits soins. Je voudrais que tu me visses danser gravement une polonaise avec l'une d'elles, dont la plus jeune a plus de cinquante années ! Je suis d'honneur le cheval de bataille du régiment ! Une polonaise avec une maman nous procure les demoiselles une heure de plus, et, grâce à mon intrépide assiduité, nous dansons toujours jusqu'à cinq heures du matin.
Adieu.

retour vers le tableau de correspondance de Coudreux