Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Brünn, 17 juillet 1809

En arrivant à Brünn, j'ai reçu, mon cher ami, ta lettre du 24 passé ; elle s'est croisée avec ma dernière, par laquelle je t'apprenais que j'étais devenu aide de camp de mon ancien colonel, devenu général de brigade. Depuis ma dernière lettre, nous nous sommes rendus devant Pressbourg, que nous avons bombardé. Cette ville a éprouvé un dommage considérable. Après avoir épuisé toutes nos munitions, la 4è division a repris la route de Vienne, et nous avons passé le Danube le 4, avec tout le reste de l'armée. Le 5, à la pointe du jour, la canonnade a commencé ; à dix heures du soir, nous tirions encore et nous avions gagné trois lieis de terrain. Cette première affaire fut seulement une affaire d'artillerie. L'ennemi n'engagea aucune de ses masses et se tint toujours à grande portée. Le 6, au matin, toute l'armée autrichienne se montra en position sur un magnifique plateau qui dominait la plaine de plus de vingt toises ; à quatre heure elle commença à s'ébranler, et d'épaisses colonnes d'infanterie, soutenues par une artillerie formidable, descendirent majestueusement du plateau et vinrent attaquer le 3è corps qui formait l'extrême droite, et cherchèrent à le déborder ; la division Puthod dans laquelle mon général commandait une brigade, et forte de 4.500 hommes seulement, fut la première engagée. L'ennemi courut au pas de charge pour nous enlever un village qui couvrait notre centre. Un petit régiment d'environ 1000 hommes l'arrêta tout court, et le feu de quatorze pièces de huit et de douze le força à faire demi-tour à droite. L'ennemi s'obstina à s'emparer du village ; il dirigea contre nous trente bouches à feu et démonta cinq de nos pièces en dix minutes. Sa Majesté, qui s'était portée sur ce point, nous fit soutenir par douze pièces de la garde et toute l'atillerie de la division de cavalerie Nansouty.
Nous restâmes dans cette position jusqu'à huit heures du matin ; nous y perdîmes 3 lieutenants-colonels, 21 officiers et environ 600 hommes. A huit heures, nous reçumes l'ordre de cesser notre feu et d'aborder l'ennemi à la baïonnette ; en un clin d'oeil, tout ce qui était devant nous disparut ; nous prîmes dix pièces de canon, et nous arrivâmes aux cris de : "Vive l'Empereur !" sur le fameux plateau. Les divisions Morand, Friant et Gudin, du 3è corps d'armée, avaient également culbuté l'ennemi, et M. le maréchal Davout manoeuvra de suite pour le rejeter sur sa droite, qui s'appuyait encore au Danube.
Tel fut le résultat de l'attaque de messieurs les Autrichiens.
Il s'engagea alors sur le plateau une affaire terrible. L'ennemi se défendit vaillamment et nous fit un mal horrible ; le champ de bataille fut couvert de nos morts et des siens : un bataillon de la brigade du général Desailly se trouva avec un seul officier ; la mitraille pleuvait dans nos rangs.
En chargeant à la tête de sa brigade, mon général fut atteint d'un coup de canon : le boulet lui enleva son épaulette et endommagea fortement l'épaule droite ; son cheval se trouva au même instant blessé de deux coups de feu. Un éclay d'obus me toucha la jambe au-desus de la cheville e j'eus une forte contusion ; un second coup me brisa mon sabre entre les mains, et fit sauter un oeil à mon cheval. Un moment auparavant, un boulet venait d'enlever la tête à un chef de bataillon, auquel je transmettais un ordre, et m'avait couvert de son sang et d'une partie de sa cervelle.
Mon général et moi nous nous rendîmes à l'ambulance. Il partit pour Vienne. Après avoir été pansé ; je rejoignis ma division sur les onze heures et demie ; l'e,,emi était alors en pleine déroute, et tout se passa bien jusqu'à la fin de la journée.
Je m'en croyais quitte pour cette fois, quand un des derniers boulets que l'ennemi nous envoya vint tomber entre les jambes de mon cheval qui fit un saut terrible ; les sangles cassèrent et je fus désarçonné. Je tombai malheureusement la cuisse en défaut et je me luxai fortement le fémur. Cet accident m'a rendu boiteux. Je souffre beaucoup ; je ne puis plus marcher sans l'aide d'un bâton ou d'une béquille. J'ai fait des efforts incroyables pour suivre la division jusqu'ici ; mon domestique est obligé de me monter à cheval et de m'en descendre.
J'espère cependant que tout cela ne sera rien et que je pourrai partir dans quelques jours, pour rejoindre mon général à Vienne.

retour vers le tableau de correspondance de Coudreux