Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Segnitz, 26 mars 1809

Depuis ma dernière des premiers jours de ce mois, la 2è division de l'armée du Rhin a pris de nouvelles positions. Nous occupons toujours le pays de Bayreuth, où il n'y a pas moins de cent mille hommes. Chaque régiment est actuellement placé à son rang de bataille, et face à l'Autriche. Jusqu'à ce moment, au contraire, nous étions cantonnés dans l'ordre inverse. Les bruits de guerre, qui prennent d'autant plus de consistance qu'il paraît sûr que messieurs les Autrichiens font effectivement de grandes démonstrations, nous donnent lieu de croire que nous ne serons pas longtemps tranquilles. On assure même que nous devons faire le 29 un nouveau mouvement.
Toutes nos femmes sont reparties pour la France ; nos bagages ont été envoyés jusqu'à Würtzbourg, et nous n'avons même pas eu la faculté de conserver nos porte-manteaux ; en revanche, nous avons reçu des souliers, des fusils et des cartouches !
Chacun voit avec plaisir ces préparatifs guerriers ; une campagne avec l'Autriche nous fera passer trois ou quatre mois, et nous autres soldats, nous avons besoin d'occupation. Nous sommes donc très disposés à ouvrir le bal quand on voudra ; tant pis pour ceux qui perdront la mesure. Jamais l'armée n'a été plus belle, ni mieux entretenue.
Je t'annonce avec plaisir, mon ami, que je viens de recevoir ma nomination au grade de capitaine. Je compte du 11 janvier dernier.
Au moment de notre départ de Kulmbach, plusieurs de nos messieurs nous ont donné la comédie. Notre chirurgien-major, entre autres, était devenu amoureux fou de la demoiselle du bailli chez lequel j'étais logé. En ma qualité d'ami intime du docteur, j'étais à la fois le confident et l'interprète. M. le docteur, dont les intentions sont plus qu'honnêtes, avait eu le bonheur de faire de grands progrès dans le coeur de la Dulcinée, et, quand il a fallu se séparer, j'ai cru un instant que tout ce monde-là allait mourir de douleur. Le disciple d'Hippocrate pleurait à chaudes larmes et faisait ses adieux en français ; la tendre Antoinette gueulait à pleine tête et lui répondait en allemand ; le père fumait sa pipe sans rien dire, et la maman, la chère maman Donauer, pleurait avec sa fille, mais elle serrait la main de M. le chirurgien-major, et avait l'air de lui dire : "Que je vous regrette !"

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