Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Obernberg, 25 janvier 1810

Mon ami;
Ta lettre du 28 décembre s'est croisée avec la mienne du 27 datée de Neukirchen-am-Walde, dont tu m'accuses la réception par ta dernière du 11 janvier. Tandis que tu t'impatientais de mon silence, je courais nuit et jour par monts et par vaux avec une dépêche adressée à M. le gouverneur d'Innsbruck. Comme il ne fait pas tès chaud au mois de janvier dans un pays presque aussi montagneux que la Suisse, j'ai eu une oreille gelée, et comme en même temps les chemins à travers les montagnes sont fort difficiles, mon traîneau a versé une vingtaine de fois, et j'ai manqué par conséquent autant de fois de me rompre les bras et les jambes. Ce sont là, mon cher capitaine, les motifs pour lesquels je ne t'ai pas écrit plus souvent.
Au reste, mon oreille est déjà aux trois quarts guérie et je ne t'en parlerai plus. Quant à la position géographique de Neukirchen-am-Walde, je ne m'étonne pas que ton dictionnaire n'en parle point, car Neukirchen-am-Walde est un mauvais village où mon général et son état-major logeait noblement dans un cabaret et couchaient sur la paille avec leurs chevaux ; dans notre métier, tout n'est pas rose !
En même temps que je t'écrivais de Neukirchen-am-Walde, j'écrivais aussi à M. Callaud pour l'inviter à régler avec toi ; il doit avoir reçu ma lettre.
Nous sommes maintenant cantonnés sur les bords de l'Inn, entre Passau et Kraunau.
J'espère rentrer incessamment dans mon ancien régiment ; le nouveau colonel, dont j'ai su m'attirer les bonnes grâces, vient de m'ecrire une lettre fort aimable, par laquelle il me promet formellement le premier emploi vacant. Cela vaut mieux pour l'instant que la Garde et que tous les régiments de cavalerie du monde.
Au reste, mon cher ami, autre temps, autres moeurs ; et je suis sûr que tu me reconnaîtrais à peine, si j'avais maintenant le plaisir de te revoir.
Adieu. Je vous embrasse tous de grand coeur.
Tout à toi.

Si j'ai besoin d'argent, je me prévaudrai sur Gavoty ; nous sommes toujours très mal payés ; nous perdons 50 pour 100 sur nos appointements, et nous payons 50 pour 100 plus cher qu'en France. Mon général, avec 25.000 francs de rentes, réunit à peine les deux bouts.

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