Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Magdebourg, 7 mars 1810

Après un voyage d'un mois, pendant lequel nous avons traversé la Bavière, le pays de Bayreuth, la Saxe et une partie de la Westphalie, nous somme senfin arrivés à Magdebourg, faits comme des voleurs. Nous avons éprouvé en route tout ce que l'hiver peut avoir de désdagréable et de rigoureux : nez, oreilles, pieds, etc., ont été gelés en assez bonne quantité. A l'exception de mes chevaux qui sont horriblement fatigués, ma maison militaire est pourtant encore en bon état ; dans ce moment, mes chevaux, qui valent plus de 50 louis d'or, ne trouveraient pas d'amateurs pour 10.
Magdebourg est une grande et belle ville. Depuis huit jours, nous avons été invités huit fois. Les bals et les dîners sont brillants. Nous pourrons nous amuser ici, mais Dieu sait quel argent nous avons dépensé pour nous équiper à neuf et sur un pied convenable : 700 francs que j'avais en réserve ont disparu comme un éclair ; voici ma dépense :
1 chapeau, ganse, etc ... 50 francs
1 paire d'épaulettes neuves ... 72 francs
1 paire de bottes ... 36 francs
1 dragonne ... 18 francs
2 paires de bas de soie ... 18 francs
1 paire de souliers ... 5 francs
1 culotte de casimir blanc ... 36 francs
1 habit neuf et pantalon idem ... 150 francs
1 capote neuve ... 90 francs
1 épée ... 36 francs
1 selle neuve pour mon cheval de parade ... 60 francs
1 habit pour mon domestique ... 30 francs
1 paire d'éperons ... 30 francs
Total : 631 francs
Nous sommes ici sur le pied de France, c'est-à-dire que nous sommes obligés de vivre avec nos appointements, sans aucune espèce de traitement ou indemnité extraordinaire, et en même temps tout ce que nous achetons nous coûte 30 pour 100 de plus qu'à Paris. Nos officiers, que la campagne d'Autriche a déjà ruinés, vont achever de vider leur bourse ici.
Pour comble de guignon, on ne parle plus de nous payer les mois de décembre, janvier et février, qui nous sont dus. Il n'y a ni ordre de payement, ni fonds en caisse.
... M. le général Desailly m'a fait l'amitié de me prêter 600 francs ; aussitôt la présente reçue, fais-en de suite la remise à M. Bellet, quartier-maître du 15è régiment d'infanterie légère, à Saint-Denis, près Paris. Je te prie, mon cher ami, de n'apporter aucun retard à lui faire ce remboursement, parce que M. le général Desally, dont la dame part pour Paris la semaine prochaine, est sur le point de faire retirer les fonds qu'il a dans ce moment entre ses mains.
En route, j'ai eu l'occasion de voir un instant M. Guibert. Il m'a dit qu'il espérait passer incessamment aide de camp d'un général de brigade dont j'ai oublié le nom. Il aurait cent fois tort de faire une pareille sottise ; l'arme dans laquelle il sert n'est pas, il est vrai, la première de l'armée, mais, en revanche, on y fait de bonnes affaires et on n'a rien à démêler avec les boulets. On m'a assuré d'ailleurs que maître Guibert savait fort bien tirer parti de sa place. Dans notre métier, c'est tout le contraire ; l'officier d'honneur se ruine en se faisant casser les bras et les jambes. M. le général Desailly, par exemple, a dépensé 15.000 francs et au-delà.

retour vers le tableau de correspondance de Coudreux