Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Francfort, 24 mars 1811

J'ai reçu, mon ami, tes deux lettres des 26 passé et 16 courant ; la chute de tant de maisons de commerce dont la fortune et la réputation paraissaient si bien établies, est quelque chose de réellement effrayant. Heureux sans doute les négociants qui pourront se soutenir au milieu de tant de désastres. J'espère, mon cher ami, que tu seras de ce nombre et que ta prudence et ton courage te sauveront d'un naufrage presque général.
Hier, à cinq heures du matin, le canon nous a annoncé la naissance du Prince impérial ; ce matin, à la même heure, nous avons reçu l'ordre de partir pour la Westphalie ! notre départ aurait-il quelque rapport avec une aussi agréable nouvelle ? Devons-nous nous préparer à faire une nouvelle campagne ?... Quel que soit l'ennemi que nous ayons à combattre, nous sommes sûrs de la victoire et nous marcherons avec enthousiasme, puisque les destins de l'Empire sont désormais assurés.
Tu vois, mon cher ami, que je suis bien loin de penser à aller te voir ! D'ailleurs, mon parti est pris à cet égard ; je ne reparaîtrai jamais à Tours qu'avec une grosse épaulette ou avec la croix de la Légion d'honneur. Je suis extrêmement bien vu dans mon régiment. Mon colonel me fait mille amitiés ; j'ai déjà été chargé depuis mon arrivée de plusieurs missions de confiance et bien agréables à remplir. J'ai tout lieu de croire qu'il me sera facile d'y réparer le temps perdu.
J'ai fait à Francfort, pour mon équipement, beaucoup plus de dépenses que je ne l'aurais cru ; mes 1250 francs y ont passé et au delà. Dis-moi, mon ami, si, sans te gêner, je peux disposer de quelque chose sur Gavoty ; aussitôt ta réponse, je remettrai sur lui un mandat à M. Bellet. Je n'ai pas précisément de besoins, mais je n'ai plus d'argent, et dans notre métier il est indispensable d'avoir toujours quelques louis en réserve. Je suis d'ailleurs supérieurement équipé ; ma malle vaut plus de 3000 francs et j'ai certainement pour plus de 1500 francs de bijoux ; mais, encore une fois, ma bourse est absolument vide, et je compte sur ta complaisance.
Adieu, mon ami. Bonne santé, meilleures affaires et surtout du courage ! Vive un métier comme le mien ! Je ne puis pas, j'en conviens, répondre de deux jours d'existence, mais au moins je passe sans soucis, sans chagrins et sans inquiétudes tous les moments dont je puis disposer !
Adieu. Je vous embrasse tous.

P.S. Chalmel n'est pas très bien vu à Mayence. J'ai retrouvé ici le colonel de gendarmerie Boisard qui m'a fait beaucoup d'honnêtetés

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