Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Au camp de Bernsdorf, 29 octobre 1811

Je conviens, mon ami, que depuis deux mois je n'ai pas écrit une seule ligne ; mais, d'honneur, ce n'est pas ma faute : nous sommes si occupés dans notre vilain camp que nous n'avons pas même le temps de penser à nos meilleurs amis.
Tandis que les habitants de notre belle Touraine s'amusent à remplir leurs tonneaux, les soldats de la 2è division bivouaquent noblement dans une vaste plaine située entre Rostock et la mer Baltique. Quand on a passé l'été dans de bons cantonnements, tu dois concevoir qu'on ne campe pas avec plaisir au mois d'octobre, par delà le 54è degré de latitude ! Cependant, tout coup vaille ! nous avons pris notre parti en braves, et nous nous estimerons encore fort heureux d'en être quittes pour le mois de novembre ! Nous aurions alors passé trois mois bien comptés dans la paille, et ce serait raisonnable pour cette année.
Nous n'apprenons ici absolument rien de nouveau. L'ordre de camper nous faisait dans le temps présager une nouvelle campagne dans le Nord. Le départ précipité du roi de Prusse pour Koenigsberg paraissait appuyer fortement nos présomptions. Il paraît maintenant que tout s'est raccomodé ! Tant mieux ! La guerre d'hiver est détestable.
Mes douleurs recommencent de nouveau à me tracasser. J'ai bien peur de finir comme le pauvre M. Ollivier dont tu me parles dans ta dernière lettre. J'attribue ma douleur de cuisse à la contusion que j'ai reçue à Wagram et dont je n'ai pas dans le temps pris grand soin. D'ailleurs, mon ami, je fais toujours bonne mine contre mauvais jeu. Je ne me plains qu'à la dernière extrémité. Tu dois savoir que, dans notre métier, on ne croit à la maladie des gens que quand ils sont morts ! Mon parti est donc pris à cet égard ; je ne quitterai le camp que lorsque je ne pourrai plus marcher.
Adieu, etc.

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