Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Wossitz, 30 avril 1812

J'ai reçu ta lettre du 2 avril. Il ne m'a pas été possible de te donner plus souvent de mes nouvelles. La marche des troupes et le déplacement du grand quartier général ont interrompu pendant des mois entiers le service des postes. Nous n'avons maintenant qu'une seule direction par corps d'armée ; nos vaguemestres sont en conséquence forcés de faire trente ou quarante lieues pour aller porter leurs lettres. On n'envoie plus à la poste que tous les quinze jours. Le service militaire se fait par estafettes.
Ainsi que tu l'as fort bien présumé, nous n'avons pas fait un long séjour à Stralsund. Tout notre corps d'armée s'est mis en mouvement le 29 mars dernier, pour se porter sur la Vistule. La division Friant, dont mon régiment fait partie, occupe actuellement Dantzig et ses environs. La garnison de Dantzig se compose de plus de 20.000 hommes de toutes armes. Jamais nous n'avions été si serrés. Nous sommes, par exemple, 340 hommes à Wossitz, mauvais village qui ne contient en tout que neuf maisons. Je loge avec 60 de mes carabiniers.
Notre corps d'armée, qui s'appelle maintenant 1er corps de la Grande Armée, se compose de sept divisions d'infanterie et d'une division de cavalerie, formant en tout plus de 90.000 hommes. C'est toujours le prince d'Eckmülh qui nous commande. Nous occupons toute la ligne de la Vistule depuis Dantzig jusqu'à Thorn, et de là jusqu'à Posen. Nous avons devant nous les troupes polonaises, et à Koenigsberg les troupes prussiennes qui bordent la Pregel.
Le 2è corps d'armée, commandé par le brave maréchal Oudinot, est cantonné derrière l'Oder, et est également très fort. Si la campagne s'ouvre bientôt, ainsi que nous le désirons tous, nous donnerons certainement de la tablature aux Russes.
Voilà tout ce que je puis te dire de nouveau, ce que tu savais déjà sans doute mieux que moi. Vous autres, bourgeois, qui avez toujours les gazettes à la main, vous connaissez bien mieux que nous la situation des armées. Nous sommes même trop heureux quand vous ne vous faites pas battre une fois ou deux fois par semaine, ou, ce qui est cent fois pis, faire une quinzaine de lieues par jour !
Je te donnerai de mes nouvelles aussi souvent que je le pourrai. Quant à toi, mon ami, qui peux tous les jours faire ton courrier fort à ton aise, ne manque pas de m'écrire très exactement. Parle-moi surtout bien amplement de l'intérieur de ta maison, etc., etc.

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