Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Paris, 1er juin 1815

J'ai reçu, mon ami, ta lettre du 27 mai ; les détails que tu me donnes sur les ffaires qui se sont passées dans la Vendée m'ont fait grand plaisir. Il faut espérer que cette malheureuse insurrection n'aura pas de suites. Les opérations des députés des collèges électoraux ont marché avec une incroyable rapidité. Au moment où je t'écris, le canon annonce que l'Empereur part des Tuileries pour se rendre au Champ de Mars. Demain, dit-on, les deux Chambres seront convoquées, et, après-demain, Sa Majesté partira pour l'armée.
Enfin, mon ami, à force de démarches, j'ai réussi à obtenir un bataillon de la ligne. Le ministre de la guerre vient de m'expédier l'ordre de me rendre à Sézanne (22 lieues de Paris) pour y prendre le commandement d'un bataillon du 30è de ligne. Le 30è est un magnifique et superbe régiment. Mon changement d'armes va achever de me ruiner. Mes habits, avec de légères réparations, pourront me servir ; mais il faut changer d'épaulettes, de chapeau, d'épée et de bottes. Il me faut maintenant des pantalons blancs.
Je vais être forcé d'acheter deux chevaux. Je suis, mon cher ami, dans le plus grand embarras, si tu n'as pas encore une fois la bonté de venir à mon secours. C'est certainement la dernière fois que je t'importunerai, mais ne m'abandonne pas dans ce dernier effort que je suis obligé de faire. Envoie-moi par le retour du courrier 7 ou 800 francs sur quelques-uns de tes amis de Paris. J'en ai à peu près autant devant moi, et, avec cette somme, je pourrai faire face à tout.
Je t'envoie ci-jointe la lettre que M. Callaud m'a écrite. Je vais lui en accuser réception et l'inviter encore une fois à terminer avec toi. Ce qu'il me doit et ma solde arriérée te couvriront de tes avances ! Encore ce service, mon cher frère, je te le demande en grâce.
J'espère recevoir ta réponse lundi ou mardi au plus tard ; mercredi, je partirai pour me rendre à mon poste. Je suis enchanté d'être débarrassé de mes guerriers du faubourg Saint-Antoine ; ce sont de fiers lurons, mais je leur ai dit adieu de bon coeur. Je t'ai prévenu de la remise que M. Hurelle m'a faite. Je tâcherai de recevoir le reste du montant de son billet. Dans tous les cas, je règlerai avec lui.
Adieu, mon bon ami. Je sens que je te deviens à charge, mais je compte sur toi, comme tu peux compter sur ma sincère amitié et sur ma reconnaissance sans bornes. Que ne puis-je, à mon tour, t'être assi utile à quelque chose !
Tout à toi. Je vous embrasse tous de tout mon coeur.
Adresse-moi dorénavant tes lettres de cette manière :
Monsieur Alex. Coudreux, lieutenant-colonel d'infanterie, chez M. Diguet, restaurateur, rue de Tournon, 33, faubourg Saint-Germain, Paris

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