Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Paris, 21 janvier 1815

Je t'annonçais dernièrement qu'en vertu d'un ordre du roi, en date du 16 décembre, tous les officiers à la suite des corps seraient mis à la demi-solde à partir du 1er janvier 1815 : comme j'étais placé dans le 15è en vertu d'un ordre particukier du ministre, et que d'ailleurs mon colonel m'appuyait fortement, je fis des réclamations qui parurent justes. Vingt-cinq de mes camarades furent renvoyés, et je restai au régiment avec solde entière, ainsi que huit officiers sublaternes et un chef de bataillon qui se trouvait dans le même cas que moi.
Lorsque le régiment dut partir pour Besançon, l'inspecteur aux revues refusa de nous comprendre sur ses feuilles, en vertu d'ordres particuliers qu'il avait reçus à notre égard ; le ministre fut consulté et ordonna qu'à partir du 20 janvier nous devions rentrer dans nos foyers et être mis à la demi-solde comme tous ceux partis le 1er. Nouvelles courses, nouvelles démarches, nouvelles réclamations, comme tu peux le penser ! L'inspecteur général aux revues, le comte Dupont-Chaumont, et M. le général Maison, gouverneur de Paris, se chargèrent de notre affaire : on écrivit au maréchal duc de Dalmatie, à notre occasion, une lettre pressante, dans laquelle on fit valoir nos droits et nos services avec tant de chaleur que le ministre revint sur son ordre de la veille, et nous mit tous à la disposition de M. le gouverneur de Paris avec solde entière, et la promesse de nous employer aussitôt qu'il y aurait des emplois vacants.
Le général Maison nous a dispersés dans les divers régiments de la garnison de Paris, et je me suis trouvé placé avec mes camarades du 15è à la suite du régiment de Monsieur, 4è léger.
Comme tu le dis fort bien, mon ami, une pareille incertitude est bien pénible et bien désagréable ; mais j'espère pourtant qu'elle finira bientôt. Nous ne sommes en tout que quatorze chefs de bataillon à la suite, conservés avec solde entière. Nous sommes ici près du soleil, et on nous a formellement promis que nous serions mis en activité aussitôt que l'occasion s'en présenterait ! Malheureusement, nos déplacements continuels nous ruinent : 50 louis dans Paris sont bien vite dépensés ! J'espère, mon cher ami, que tu ne m'abandonneras pas, et que tu auras la bonté de venir à mon secours jusqu'à la fin. Je fais le sacrifice de tout mon arriéré pour rattraper mon emploi. La liquidation marche maintenant assez bien. Je ne veux rien vendre, parce que les gredins d'agents d'affaires abusent de la position où nous nous trouvons pour nous rançonner comme des corsaires de Barbarie.
Mes pièces sont en règle, et tu peux compter, mon ami, que les sommes que je dois toucher seront employées à te rembourser celles que tu as bien voulu m'avancer depuis mon retour.
Adieu, mon ami. Je n'entre dans ces derniers détails que pour te prouver que je ne perds point de vue que j'ai déjà dépensé 2.100 francs de mon argent depuis mon arrivée à Paris. Mais il s'agit ici d'une lutte d'intrigues et d'amour-propre. Je veux soutenir et faire valoir mes droits jusqu'au bout ! Bonaparte disait que c'étaient les opiniâtres qui gagnaient les batailles. J'espère, moi, gagner la partie à force de ténacité !

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