Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Paris, 22 mars 1815

Nous sommes partis de Paris le 18 de ce mois ; nous y sommes rentrés le 20, deux heures avant l'empereur Napoléon. La capitale était aussi tranquille que si l'événement qui se passait eût été la chose du monde la plus simple et la plus ordinaire ! Les Bourbons avaient fait afficher depuis deux jours des proclamations infâmes. Il n'était question que d'assignats, que de guerre civile, que de carnage ! Tous les bons citoyens ont repoussé avec horreur ces indignes insinuations : pas un homme n'a pris les armes, et Sa Majesté l'Empereur est rentré aux Tuileries avec autant de sécurité que s'il n'en était jamais sorti.
Hier, à une heure, plus de 1500 hommes étaient en bataille sur le Carrousel et dans la cour du château. L'Empereur, à cheval, a passé en revue tous les régiments et a été accueilli avec l'enthousiasme qu'inspire la présence d'un homme tel que lui à des braves que le dernier gouvernement traitait depuis quelques jours d'assassins, de mamelouks, de brigands.
Pendant quatre heures que les troupes sont restées sous les armes, les cris de joie n'ont été interrompus que pendant quelques minutes que Napoléon a employées à adresser aux officiers et sous-officiers réunis en cercle autour de lui quelques-unes de ces phrases si belles, si énergiques, qui n'appartiennent qu'à lui seul et qui nous toujours fait oublier tous nos maux et braver tous les dangers ! Il nous a présenté les officiers de sa Garde à l'île d'Elbe ; ces braves militaires portaient des aigles que nous avons saluées avec transport ! En nous promettant de nous en donner de nouvelles, il nous a demandé si nous jurions de leur être fidèles ... Tous les sabres, tous les casques de nos soldats étaient en l'air. Les cris de : 'Vive l'Empereur ! Vive Napoléon !" mille fois répétés, ont dû se faire entendre de tout Paris ! Dans notre ivresse, nous nous embrassions tous sans distinction de rang ni de grade, et plus de 50.000 Parisiens, témoins d'une si belle scène, applaudissaient de tout leur coeur à ces nobles et généreuses démonstrations !
Nous avons l'ordre de nous tenir prêts à marcher pour reprendre à l'ennemi nos belles provinces du Nord. Les habitants nous attendent et nous appellent à grands cris. Nous marcherons au pas de charge, et, si 100.000 Anglais se présentent pour nous arrêter, ils s'apercevront que les Français sont invincibles, quand les traîtres sont démasqués et que Napoléon commande. Adieu. Je vous embrasse tous avec le plus vif plaisir et je vous aime de tout mon coeur.
Tout à toi.
Alexandre Coudreux.
Chef de bataillon, chevalier de la Légion d'honneur.

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