Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Chef-Boutonne, 28 août 1815

Nous occupons depuis hier, mon cher ami, notre nouveau cantonnement. Chef-Boutonne est un gros bourg du département des Deux-Sèvres, situé à 7 lieues de Niort : nous n'y sommes pas trop mal, surtout nos soldats que les habitants traitent très bien.
Nous avons enfin reçu ces jours derniers, du maréchal Macdonald, des ordres relatifs au prochain licenciement de l'armée. Nous avons déjà commencé notre opération par le renvoi des officiers qui avaient été rappelés depuis le 1er mars. Le travail pour les cadres du régiment ne tardera pas sans doute à se faire ; mais malheureusement je suis membre du conseil d'administration, et je crains que la reddition de nos comptes ne m'empêche d'aller faire les vendanges avec vous.
Jusqu'à ce moment, nous avons touché assez exactement la solde de la troupe ; mais, quant à celle des officiers, c'est une autre affaire. Nous espérons cependant que les appointements seront payés avant le licenciement.
Les pays que nous occupons depuis deux mois m'ont un peu réconcilié avec messieurs les Français. Les opinions des habitants de ces contrées sont certainement aussi divergentes que partout ailleurs ; cependant, je n'y ai point entendu de ces affreuses vociféraions et de ces indignes propos qui ont excité dans plusieurs de nos villes des rixes sanglantes entre les bourgeois et les soldats ! Nous avons été bien accuilli à Tours, à Airvault, à Parthenay, à Saint-Maixent, à Melle. Nous avons été également fort bien reçus ici. Aussi la meilleure intelligence a régné partout entre les militaires et les habitants, et nous n'avons eu que quelques déserteurs depuis le passage de la Vienne.
Comment vous arrangez-vous donc à Tours ? On parle d'arrestations et de vexations de toute espèce exercées dans vos environs. Il me semble que la position de la France n'est plus assez brillante pour qu'on puisse s'occuper maintenant d'autre chose que de cicatriser nos plaies et d'éviter de plus grands malheurs.
Fais-moi le plaisir, mon cher ami, de donner de mes nouvelles à ma chère mère ; dis-lui que je ne lui écris point parce que je n'ai absolument rien de nouveau à lui apprendre. Je me porte à merveille, et, à quelques idées noires près, je supporte assez patiemment mon affaire.
Adieu. Je vous embrasse de tout mon coeur.
Ton sincère ami.

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