Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Paris, 8 février 1815

J'ai reçu, mon ami, ta lettre du 1er février. Mes affaires prennent une assez bonne tournure. Nos officiers subalternes sont déjà placés en partie pour les divers régiments qu'on leur a assignés. M. le général comte Maison, que j'ai eu l'honneur de voir avant-hier, m'a assuré que, sous peu de temps, les officiers supérieurs auraient leur tour. Dieu me préserve, mon ami, de jamais me replacer dans les état-majors ! C'est le service le plus désagréable que l'on puisse imaginer ! Un bataillon dans un bon régiment vaut mieux que tous les états-majors du monde. Si je puis parvenir à en attraper un, je m'y tiendrai ferme, et il ne sera pas facile de m'en faire sortir. En attendant notre placement, nous sommes employés ici au service de la place. Nous faisons les rondes de jour et de nuit. J'ai, pour cette nuit, par exemple, vingt-six postes à visiter. Je ne rentrerai pas chez moi avant quatre heures du matin. Nos tours de service reviennent tous les trois ou quatre jours. C'est très fatiguant et en même temps très dispendieux. Il faut absolument louer des chevaux et messieurs les maquignons nous serrent la botte quand nous avons besoin d'eux la nuit. Je prendrai le parti de me monter si je trouve une bonne occasion.
Mon changement de régiment m'a occasionné beaucoup de nouvelles dépenses : épée, épaulettes, chapeau, schakos, il a tout fallu changer. Pour comble de malheur, j'ai tellement grossi et engraissé depuis mon retour de Russie que tous mes habits me sont devenus trop étroits. Je viens de remplacer l'habit vert que je ne pouvais plus mettre ; ma capote d'uniforme ne croisait plus ; enfin, mon ami, je deviens monstrueux réellement.
J'ai été prendre chez ton ami Gavoty 1000 fr. dont je te prie de lui tenir compte.
J'ai payé ce matin pour plus de 900 francs de mémoires. Nous sommes assujettis dans notre nouveau corps à une tenue dispendieuse, particulièrement pour nous qui sommes obligés d'aller toutes les semaines faire notre cour au château.
J'étais invité hier, mardi gras : 1° chez Mme Roland ; 2° chez la soeur du major Bacot ; 3° chez M. d'Annery, mon ancien compagnon d'infortune en Russie ; 4° enfin, chez mon colonel que j'ai préféré. Nous y avons passé une soirée très agréable. M. le colonel Peyris est marié à une comtesse espagnole assez jolie et infiniment aimable.
Ton affectionné frère.

P.S. Je quitte ce matin l'hôtel Morin pour aller loger auprès du Luxembourg. Mon régiment est caserné dans la rue des Postes. Adresse-moi dorénavant tes lettres au 4è léger.

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