Lettres du commandant Coudreux à son frère (1804-1815)

Paris, 8 juin 1815

Tes lettres des 2, 4, 5 et 6 du courant me sont parvenues. Ton ami Gavoty m'a compté hier 800 francs. Je devais partir ce matin à 5 heures avec mon colonel qui a l'ordre de passer au dépôt avant de rejoindre l'armée, mais quelques affaires importantes l'obligent à différer son départ jusqu'à lundi. Il me donne une place dans sa voiture ; nous serons à Sézanne mardi à midi. Le 4è bataillon, dont je dois prendre le commandement, sera formé avant la fin du mois. Le major Hervieux écrit au colonel que, depuis huit jours, il est arrivé 400 vieux soldats congédiés, qui ont été dirigés sur le régiment.
Les tirailleurs de la garde nationale n'étaient point du tout mon affaire. J'y serais sans doute resté s'il ne m'eût pas été possible de faire mieux ; mais, mon ami, quelle figure aurais-je donc pu faire au milieu d'une troupe indisciplinable, composée de gens de toutes les couleurs, et dont sans doute on ne pensera jamais à tirer parti ! Cette formation est, suivant moi, une de ces grandes mesures qui font beaucoup d'effet dans l'intérieur, mais dont on apprécie le mérite tout autrement en haut lieu. Nous n'aurons certainement pas la peine de recourir à de pareils moyens !
Les baïonnettes de notre brave armée sont le plus sûr rempart de la France, et c'est sur elles seules que nous pouvons compter. Je suis donc enchanté, mon ami, d'être rentré dans la ligne ; et si les hostilités commencent bientôt, ainsi que tout le fait présumer aujourd'hui, je n'aurai qu'un seul regret : ce sera celui de ne pas voir tirer les premiers coups de canon.
Toute la Garde impériale est partie pour l'armée, à l'exception des deux premiers régiments d'infanterie, qui ne se mettront sûrement en route qu'avec l'Empereur. On ne sait pas encore précisément le jour fixé pour son départ. Nous croyons tous qu'il ne restera maintenant que très peu de jours à Paris, d'autant mieux que nous apprenons à l'instant que le grand quartier général vient de quitter Laon pour se porter en avant.
Tes réflexions sur le pacte fédératif de votre province sont parfaitement justes. De quel droit, effectivement, quelques individus tarés dans l'opinion publique se permettent-ils d'émettre leur voeu les premiers, au nom de tous leurs concitoyens ? Mais, d'un autre côté, pourquoi les premiers citoyens se laissent-ils prévenir pour une pareille démarche ? Entre nous, on ne regarde pas ici M. de Chasser ni M. de Miramon comme de bien grands sires. Dans le moment actuel, c'est un Pommereuil qu'il faudrait à Tours.
Hurelle m'a promis encore un acompte sur son billet pour demain au soir. Je l'ai vu ce matin ; il est définitivement placé dans le 4è chasseurs à cheval. Tu ne peux rien perdre avec lui, mais tu seras peut-être obligé d'attendre encore quelque temps.
Adieu, mon ami. Je voudrais pouvoir trouver quelque expression nouvelle pour te dire combien je suis sensible à tes procédés à mon égard. J'espère bien que Callaud t'aura bientôt remis toutes les sommes qu'il a encore à moi ; mais, quand j'aurais la certitude que tu devrais être remboursé demain de toutes les avances que tu m'as faites avec tant de bonté et surtout tant de complaisance, je n'en penserais pas moins que tu es le meilleur comme le plus chéri des frères et des amis.
Tout à toi.

P.S. L'histoire du Saxon et de son paquet de poudre fulminante n'a pas fait la moindre sensation à Paris. Je ne sais pas pourquoi les barbouilleurs de papier en parlent avec tant de fracas.

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